Les livres qui font peur - sélection spéciale Halloween
Ça y est, nous sommes en octobre et le mois d'octobre est le mois de la peur. Audrey (du compte Instagram Les mots dans le plat) revient avec une sélection effrayante d'albums pour petits et grands. Prenez garde, les frissons sont au rendez-vous !
Sophie
Ouvre-moi ta porte
Michaël Escoffier et Matthieu Maudet
L'école des loisirs, 2014
Dans cette histoire, la soirée avait pourtant si bien commencé pour Lapin !!! Il s’était installé dans un fauteuil confortable avec une bonne tasse de thé devant la cheminée, bouquin palpitant et carotte à grignoter à portée de patte, quand soudain… quelqu’un est venu frapper à la porte pour demander de l'aide. C’est Cerf, poursuivi par le loup !!! La réaction de Lapin ne se fait pas attendre, il le fait entrer aussitôt chez lui, un pour tous, tous contre le loup! Oui, mais voilà, le loup débarque lui aussi quelques minutes plus tard, en prétendant être poursuivi lui aussi, par un monstre !!!! Faut-il croire le loup ? Comme Lapin refuse de lui ouvrir la porte, le loup décide de passer par la cheminée… Nos deux amis ne se sentant plus du tout en sécurité chez Lapin, décident de quitter aussitôt la maison et de s’enfuir dans la forêt. Dans la nuit noire ! En oubliant que le loup a peut-être dit vrai et qu’un monstre rôde peut-être dans les parages…
Nous ne sommes pas au bout de nos surprises quand, tombant nez à nez avec un affreux monstre rouge avec de gros yeux verts et jaunes et doté d’une queue rouge, les deux compères décident de regagner illico la maison… où le loup les attend bien sûr !!
Grâce au jeu des rabats sur les illustrations pleine page en noir et blanc, le lecteur est plongé avec humour et suspense, alternativement dans l’ambiance inquiétante de cette forêt hantée, et dans celle, rassurante (pas si sûr…) de l’intérieur douillet de Lapin.
Aux côtés de Cerf qui se dit poursuivi par le loup, qui est lui-même poursuivi par le monstre, qui se voit refuser d’entrer, qui parviendra malgré tout à rentrer mais à son tour ne voudra plus ouvrir la porte, on court dans tous les sens, on sort, on entre, on rentre, on monte, on descend, on se cache, on s’expose… À la fin, on est éreinté, mais soulagé en découvrant la véritable identité du monstre de la forêt !
Même si, comme dans les films qui font peur, l’illustration de la quatrième de couverture montrant le loup bien installé dans le fauteuil de Lapin nous donne un dernier petit frisson et nous laisse, il faut l’avouer, un peu inquiets sur le sort de Lapin et de Cerf…
Des clins d’œil savoureux à nos références culturelles, du comique de situation et des rabats savamment utilisés, cet album mélange avec intelligence et beaucoup d’humour les ingrédients nécessaires pour parler de la peur et la dédramatiser.
Peur noire
Voce verso, 2016
Peur noire est un petit album sans texte, illustré au crayon gris. C’est l’histoire du combat d’une petite fille contre sa propre peur. Au début de l’album, on voit cette petite fille qui créé, malgré elle, une « chose » noire, tourbillonnante, dominante, oppressante, qui grandit jusqu’à la terroriser. Cette chose ouvre sa gueule, elle semble hurler quelque chose sur la petite fille, qui s’enfuit à toute vitesse. Elle prend soudain tellement de place qu’elle déborde sur la double page, comme une vague qui submerge. On tremble pour la petite fille, qui ne semble pas courir assez vite, et se trouve rapidement enfermée, noyée dans cette masse noire. On la voit chercher la sortie, tenter de repousser la chose encore et encore… jusqu’à y arriver, enfin ! L’angoisse est alors refoulée, la petite fille reprend le dessus, surmonte la chose, dépasse sa peur. Ouf, le lecteur peut respirer ! L’énorme chose est devenue une petite boule, un petit tas négligeable. La petite fille reprend possession de la page blanche comme de ses moyens, sans s’éloigner de la chose qu’elle ne quitte pas vraiment des yeux. Mais voilà que la chose renait de ses cendres, à nouveau elle grandit. Pas facile de se débarrasser de ses peurs, de ses angoisses. Mais cette fois, une tache jaune vif est en train de naitre au creux du ventre de la petite fille : c’est la force de s’opposer, le courage d’affronter. Cette force va prendre la même forme que la chose, elle va grandir et dominer la peur noire jusqu’à la réduire à un petit quelque chose, à un rien du tout, que la petite fille va s’attacher à piétiner, effacer, écraser, écrabouiller, jeter. La petite fille finit par s’en débarrasser une fois pour toutes, elle a gagné le combat sur elle-même, elle n’a pas cédé à ses propres démons, elle a trouvé en elle les ressources pour les mettre à distance.
Très belle réalisation, très simple, très épurée, très graphique, très évocatrice malgré l’absence de mots.
Une histoire sombre… très sombre
Ruth Brown
Gallimard jeunesse, 1981
L’album démarre sur un plan large qui se resserre au fil des pages, qui emmène le lecteur dans un voyage en entonnoir, de la campagne déserte au mobilier d’un château inhabité (enfin presque !). Les illustrations pleine page, scandées à chaque page par la même phrase répétitive « Il était une fois un (pays) sombre, très sombre », nous plongent dans l’ambiance inquiétante d’une campagne au cœur de l’automne. Tout est très sombre, le vent souffle sur la plaine, une chouette surgit, le brouillard inonde la forêt, les lapereaux restent à l’abri. Et au loin, un château, mystérieux.
Nous avançons dans le bois, jusqu’à la lourde porte en bois, nous traversons la salle à la suite d’un chat noir qui nous accueille, nous rassure (un peu) et nous guide dans les pièces du château qu’il semble connaitre. La visite se poursuit sous les toiles d’araignée et le regard menaçant des portraits accrochés aux murs, par les escaliers centraux, et les nombreux couloirs, interminables. Et puis un rideau, très lourd et poussiéreux, qui cache l’entrée d’une pièce secrète. Un rayon de lumière, une cheminée, un cheval à bascule. Et puis une armoire, massive et une clé à tourner, grinçante, avant de découvrir des jouets en pagaille. Parmi ces jouets, une boite en bois. Dedans, il y a de la lumière. Le lecteur est partagé entre la peur de voir ce qui s’y trouve bien sûr, et l’envie irrépressible, irrésistible de le découvrir. Le lecteur est comme happé, attrapé, fasciné. C’est enfin le moment de vérité…
Dans ce classique, le suspens est très justement mis en scène, comme au cinéma, la structure répétitive du texte permet une lecture à voix haute digne des plus grandes scènes dramaturgiques, comme celle du conteur auprès du feu un soir de pleine lune. L’image raconte beaucoup et plante le décor au sens propre comme au sens figuré : on frissonne (beaucoup), et puis à la fin on rit (jaune) !
Un album à recommander à ceux qui aiment se faire peur, très peur !
Le train fantôme
Didier Lévy et Pierre Vaquez
Sarbacane, 2019
Lina, 7 ans, bientôt 8, est seule dans sa chambre. Une énième dispute éclate entre Jonas, son grand frère, adolescent passionné de papillons, et ses parents restaurateurs, et cette fois fait fuir Jonas. Il quitte la maison en claquant la porte, ses parents partent ensuite travailler. Lina s’apprête donc à passer la soirée à la maison, seule, alors que la nuit s’installe.
Le lendemain après l’école, Jonas n’est pas réapparu. Lina décide, lampe de poche en main, d’aller le chercher là où son frère aime venir traîner quand il a envie de s’évader : l’ancienne fête foraine, désertée depuis longtemps, de tous, sauf des corbeaux, des araignées et des souris. De baraque en roulotte, elle arrive devant le vieux train fantôme. Lina est prête à tout pour retrouver son frère, alors elle monte dans le wagon, dans le noir le plus complet. Soudain, les portes se ferment et le train démarre, la laissant prise au piège avec ses nouveaux compagnons de voyages, des monstres, des momies et des squelettes… Finira-t-elle par retrouver Jonas au royaume des Morts ? Pourra-t-elle le ramener avec elle à la maison ?
Didier Lévy et Pierre Vaquez nous embarquent avec Lina dans un voyage terrifiant à destination des profondeurs de la terre et de l’âme, voyage à double niveau de lecture. Le petit lecteur pourra s’amuser à se faire peur, le temps d’un instant, et vivre une aventure terrifiante à l’image des fortes sensations que l’on cherche à vivre lorsque l’on monte dans un train fantôme à la fête foraine. Le lecteur plus grand lira entre les lignes de l’aventure de Lina et Jonas, les affres du mal-être adolescent, de la solitude, de la dépression, et l’importance des mains tendues pour revenir à la lumière.
Mention spéciale pour le sublime travail de gravure en noir et blanc de Pierre Vaquez dans cet album, qui en fait un voyage délicieusement glaçant.
Bouh ! Le livre qui fait le plus peur au monde
Antonin Louchard
Seuil jeunesse, 2016
Le lecteur est prévenu dès le titre : c’est « le livre qui fait le plus peur du monde » !!!! Un petit fantôme met toute l’énergie qu’il peut à essayer d’effrayer son petit lecteur. Sans succès ! Comment ??? Un fantôme qui ne fait pas peur !! Les Bouhhhhhhh ! du fantôme grandissent au fil des pages, on voit le fantôme s’agacer de ne pas réussir à faire peur. Rien n’y fait, ni la tête de mort, ni les noms d’oiseaux, ni les gros mots, ne semblent faire réagir le lecteur. Enfin si, les efforts du fantôme provoquent des rires et des sourires mais ce ne sont pas les réactions attendues ! Il s’énerve, il semble découragé, car il DOIT faire peur, c’est son devoir, ou plutôt ce sont ses devoirs !!
Hors cadre, une voix le rappelle soudain à l’ordre, un moment familier du quotidien des enfants : sa maman lui demande de venir se mettre à table ! Eh oui, les petits fantômes vont à l’école, ont des devoirs – de fantôme – à faire, ont une famille, doivent aller dîner quand on les appelle. Mais le fantôme ne quitte pas le lecteur sans le mettre en garde : il doit aller diner, mais il reviendra… FINIR SES DEVOIRS !!!! Bouhhhhhhh ! Et comme les enfants aussi, ils essaient, tâtonnent, échouent parfois, tentent à nouveau, doivent persévérer… et doivent accepter parfois de recevoir de l’aide pour réussir aussi ! BOUHHHHHH !!!!!!
Les illustrations sont très simples, très épurées, très sobres : du noir et blanc, une ligne dessine le fantôme, l’accent est mis sur les expressions de son visage. Très court, très efficace !